
Photo d’en-tête : Pierre (extrême droite) accompagnant des évadés à la frontière belge, après une nuit passée dans une grange. © L.P.P.D.
Passeur aguerri et coordinateur de refuges
Entre 1941 et 1944, Pierre Schon a caché et aidé à fuir plus de 100 personnes : aviateurs alliés abattus, prisonniers de guerre français évadés, Juifs, déserteurs luxembourgeois contraints de rejoindre l’armée allemande, ainsi que d’autres résistants – nombreux à avoir risqué la mort s’ils avaient été capturés.
Les membres de la LPL, comme Pierre, empruntaient des itinéraires forestiers pour faire passer des fugitifs en Belgique. Certains débutaient leur route depuis la grande ferme familiale de Doennange ou d’autres refuges qu’il avait organisés avec des résistants locaux. D’autres étaient hébergés dans des caches qu’il avait contribué à aménager dans les bois entre Doennange et Weicherdange. Ensuite, lorsque le moment était venu, il escortait le groupe de nuit à travers forêts et champs jusqu’en Belgique.
Le départ se faisait vers 22h, pour traverser vers minuit lors du changement de garde des frontières allemandes. Le trajet — aller-retour majoritairement dans l’obscurité — durait plusieurs heures, soit environ 11 km (7 miles) dans chaque direction.

Villages clés marqués en jaune. Frontière belgo-luxembourgeoise en rose.
Les cachettes étaient essentiellement des bunkers souterrains ou creusées dans le flanc d’une colline, très rudimentaires mais bien camouflées. En hiver, elles étaient très froides. Des habitants courageux déposaient de la nourriture dans la forêt, qui était récupérée à la faveur de l’obscurité. Parfois, les cachettes étaient équipées d’un poêle lourd qu’il fallait transporter à travers la forêt jusqu’à la planque pour préparer des boissons chaudes et fournir un chauffage de base. Vivant toujours dans la ferme familiale, Pierre Schon apportait régulièrement lui-même de la nourriture aux cachettes.


Photos © Visit Eislek
Travailler en équipe
Pierre collaborait avec d’autres passeurs de la LPL, comme Ernest Delosch et Aloyse Kremer, sur un itinéraire passant par Doennange jusqu’à Buret et Tavigny (villages belges proches de la frontière), puis vers Limerlé‑Retigny ou Bourcy, des localités belges desservies par le rail, facilitant l’exfiltration.
De plus, il avait établi une chaîne de refuges près de la frontière. Il coopérait notamment avec Marie‑Louise Didier, résistante belge spécialisée dans le renseignement et la distribution de documents clandestins, qui hébergeait plusieurs personnes dans son domicile à Buret.

En juillet 1943, celle-ci fut dénoncée, arrêtée et interrogée par la Gestapo. Malgré l’identité du dénonciateur (Jules) révélée sous la torture par la Gestapo, elle refusa de reconnaître qu’elle avait caché des évadés. Sollicitée durant quatre mois en isolement et maltraitée, elle fut déportée en octobre 1943 au camp de concentration de Ravensbrück, puis transférée à Neu‑Brandenburg. Là, les conditions furent si atroces que la plupart des déportées périrent dans les travaux forcés (10–12 h par jour, rations pitoyables).
Lorsque l’armée rouge approcha (~15 km), les nazis contraignirent les détenues à une marche forcée vers un autre camp. À bout, elle réussit à s’échapper de nuit, puis fut secourue par les Britanniques à Schwerin et soignée. Finalement, elle rentra en Belgique à l’été 1945.
Aider les Juifs déportés
En 1941, les autorités allemandes commencèrent à dresser des listes des Juifs et à intensifier les mesures antisémites. En octobre, environ 300 Juifs furent internés à Cinqfontaines (Camp de Fünfbrunnen), près de Troisvierges. Situé dans un ancien couvent, il servait de point de transit avant une déportation ultérieure vers les grands camps d’extermination en 1942.

Pierre contribua à faire passer des faux papiers à certains internés pour leur permettre de s’évader, avec l’intention de les cacher, puis les escorter vers la Belgique. Il détourna également des coupons alimentaires et apporta de la nourriture à ceux restés au camp, alors que les rations s’amenuisaient ; la surveillance y étant parfois légère.
Durant cette période, nombre de Juifs luxembourgeois se cachèrent ou fuirent vers les pays voisins, sollicitant l’aide des réseaux de résistance.
Le lien avec la Pologne
En février 1943, Pierre réalisa probablement l’une des actions les plus audacieuses de son parcours. : une livraison humanitaire de plus de 1000 kg de provisions au château de Boberstein, un lieu d’internement et de travail nazi pour Luxembourgeois, situé alors en Silésie (aujourd’hui en Pologne).
Masqué derrière de fausses identités et autorisations, il fit le trajet à bord d’un camion à travers l’Allemagne nazie (près de 1 000 km par trajet). La traversée – presque 30 h, de multiples postes de contrôle – fut une tâche d’une ambition presque inimaginable. Le camp abritait quelques centaines de personnes. Dès le début de l’année 1943, les internés commençaient à souffrir de la faim, devant survivre avec des rations de plus en plus maigres et dans des conditions très dures.


Photo ci-dessus à gauche : Vue aérienne du château de Boberstein avec ses dépendances. À droite : Vie quotidienne dans le camp de Boberstein en Silésie, Centre de Documentation et de Recherche sur la Résistance.
À une époque où la nourriture était strictement surveillée, Pierre Schon organisa la collecte de plus de 1 000 kilogrammes de provisions provenant de la ferme familiale et des fermes voisines dans la région de l’Oesling. Avec un objectif clair et des nerfs d’acier, il transporta les vivres à travers l’Allemagne nazie jusqu’au château de Boberstein. Ce voyage représentait un exploit audacieux et presque inimaginable.
Deux personnes citées comme témoins par Pierre Schon dans des documents d’archives étaient Auguste Collart, ancien bourgmestre de Bettembourg et député, et Jean Peusch, un homme politique local bien connu qui fut bourgmestre DP de Clervaux de 1946 à 1964 et également député. Tous deux, connaissances de Pierre Schon, avaient été déportés en tant que prisonniers politiques, avec leurs familles, et étaient internés au camp de Boberstein au moment de l’arrivée de Pierre Schon. Auguste Collart faisait partie de la résistance, bien que les Allemands n’aient jamais pu le prouver. Royaliste et patriote évoluant dans les cercles aristocratiques, il fit don de sommes importantes pour soutenir les activités de résistance ainsi que pour venir en aide aux déportés.
Une initiative aussi audacieuse n’aurait pas été possible sans le soutien discret de la communauté agricole de Clervaux, nombre d’entre eux étant engagés dans la résistance.
Le gouvernement polonais décerna une médaille à Pierre en reconnaissance de son aide humanitaire durant la guerre.
Une nouvelle identité
La LPL a réussi à aider des centaines de personnes à fuir. Les personnes secourues avaient besoin de vivre, de se nourrir. Le mouvement reproduisait des tickets alimentaires et falsifiait toutes sortes de documents afin de permettre leur survie. Travaillant dans une communauté agricole, il était également possible de prélever discrètement un peu de nourriture pour nourrir ceux qui se cachaient.
Pierre Schon était capable de falsifier des cartes d’identité et possédait des modèles ainsi que des tampons originaux de différentes municipalités en France et en Belgique, qu’il utilisait selon les besoins. Les membres, circulant sous une fausse identité ou munis de faux papiers pouvaient ainsi passer inaperçus. Pierre collaborait avec ses contacts en Belgique pour produire un grand nombre de nouvelles identités pour ceux qu’il escortait à travers la frontière.
En octobre 1941, la LPL parvint même à dérober des armes au poste de police de Diekirch, occupé par les Allemands.
La même année, l’Allemagne nazie organisa un référendum forcé d’annexion appelé « Personenstandsaufnahme ». Malgré la pression des occupants et de la VdB, la résistance luxembourgeoise lança de vives campagnes de refus. Pierre et d’autres résistants distribuèrent à Luxembourg des tracts anti‑référendum fabriqués à Bruxelles par l’imprimerie Loquet, transmis par Alphonse Rodesch. Le résultat fut sans appel : le vote échoua, illustrant le rejet massif du peuple luxembourgeois du régime nazi. En défi, certains continuèrent à parler le luxembourgeois malgré l’interdiction, certains déchirant même leurs papiers d’identité allemands en geste de résistance passive.